Présentation du projet

Origine du Projet

Le projet d’édition critique des Œuvres complètes de Michel d’Amboise (c. 1505-1547) trouve son origine dans le constat établi il y a vingt ans par Richard Cooper de la nécessité d’éditer les œuvres de ce poète, longtemps ensevelies dans un oubli profond, et de le faire échapper à la malédiction qui semble le poursuivre après sa mort1. Michel d’Amboise semble doublement maudit en effet, d’abord parce que la vie de ce fils illégitime de Charles de Chaumont d’Amboise, du moins telle qu’il la met en scène dans ses poèmes à coloration autobiographique, a été semée de malheurs (deuil, prison pour dettes…) au point de justifier le surnom d’Esclave fortuné, ou « esclave de la fortune », qu’il adopte dès son premier recueil en 1530, ainsi que la tonalité élégiaque de ses recueils poétiques. Cette malédiction l’a poursuivi après sa mort, puisque son œuvre, victime de jugements critiques longtemps négatifs, a été presque complètement oubliée de la postérité et qu’aucune de ses œuvres n’a été rééditée depuis le début du XVIIe siècle, à part son traité militaire, Le Guidon des gens de guerre, au XIXe siècle.

Michel d’Amboise est pourtant un auteur prolifique, qui publie entre 1530 et 1547 près d’une quinzaine de recueils et de traductions du latin, du néo-latin et de l’italien, ainsi qu’une œuvre en prose, Le Guidon des gens de guerre (1543), qui s’appuie sur l’expérience du « capitaine Chevillon ». Il a connu un réel succès, finissant sa carrière par des œuvres destinées à des membres éminents de la Cour. Richard Cooper voit en lui un « digne membre de la génération de Marot, à redécouvrir », d’autant plus que ses œuvres, pour certaines plusieurs fois rééditées au cours des années 1530-1550, sont lues par ses contemporains, comme Rabelais ou Scève, Fontaine ou Habert. L’« oubli profond » dans lequel Michel d’Amboise a sombré, comme la plupart des poètes de sa génération, témoigne de façon exemplaire du processus de minorisation dont ont été victimes les poètes de son temps condamnés par Du Bellay dans la Deffence, lorsque le « canon » littéraire de la Renaissance s’est trouvé établi à partir de la production de la Pléiade.

Les Œuvres de Michel d’Amboise

L’œuvre de Michel d’Amboise a cependant bénéficié d’une réévaluation critique depuis une vingtaine d’années, d’abord en raison de ses talents de traducteur du latin antique (Ovide, Juvénal), du néo-latin (Spagnoli, Angeriano) et de l’italien (Fregoso). Par le biais de la traduction, il a contribué à la renaissance des lettres en France dans les années 1530 où il introduit notamment le genre de l’épigramme avec son recueil des Cent epigrammes imité de l’italien Angeriano en 1533. Mais l’intérêt de la critique se porte aussi depuis peu sur ses œuvres personnelles : avec les Epistres veneriennes, les Contrepistres d’Ovide ou encore le Secret d’Amours, Michel d’Amboise s’est fait connaître comme spécialiste de l’épître amoureuse au point qu’il apparaît, selon Pauline Dorio, comme l’un des fondateurs du genre en français1.

Notre édition a donc pour objectif, en répondant à l’invitation formulée par Richard Cooper il y a vingt ans, de rendre justice à la variété des talents dont fait preuve Michel d’Amboise, comme traducteur et comme poète, et, ce faisant, d’apporter un nouvel éclairage sur la génération poétique des années 1530-1540 laissée dans l’ombre par la coupure qu’ont tracée les poètes de la Pléiade et leurs grands éditeurs modernes. Notre entreprise s’inscrit ainsi dans une dynamique des études seizièmistes qui s’attachent à remettre en lumière cette génération méconnue, notamment en produisant des éditions critiques destinées à combler un vide du paysage littéraire de la Renaissance française – nous pensons en particulier à l’édition en cours des œuvres de Jean Bouchet sous la direction de Nathalie Dauvois à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle et à l’édition numérique des œuvres de Charles Fontaine que dirige Élise Rajchenbach à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne.

Format de l’édition

Nous avons fait le choix d’une publication sur deux supports complémentaires : les Œuvres complètes de Michel d’Amboise font l’objet d’une édition critique réalisée par des spécialistes de la poésie française et néo-latine, qui paraîtra en cinq volumes, accompagnée d’un apparat complet (introduction, annotations, variantes, index), aux éditions Honoré Champion dans la collection « Textes littéraires de la Renaissance », et d’une édition numérique sur un site internet qui propose des modalités de lecture différentes de celles qu’offre l’édition en volumes.

L’édition numérique donne tout d’abord accès à tous les recueils du poète ainsi qu’aux pièces diverses qui ont pu être retrouvées dans des œuvres d’autres auteurs. Les textes sont lisibles sur le site sous deux formes : la transcription semi-diplomatique de l’édition originale (le plus souvent) et le texte établi par l’éditeur scientifique. En outre, certains recueils ont fait l’objet de réécritures et de réorganisations que l’édition numérique rend visibles en proposant plusieurs parcours de lecture. Enfin, les traductions de Michel d’Amboise sont publiées en regard de leur texte source (latin ou italien), accompagnées d’analyses de la technique du traducteur.

Mise en œuvre technique

Nous avons choisi pour cette édition numérique de suivre les principes de la TEI (Text Encoding Initiative), qui a pour objectif d’uniformiser autant que possible les pratiques pour le codage de documents en vue de leur échange et de leur publication en ligne ou hors ligne : grâce à l’utilisation du langage XML, les textes encodés en TEI ne sont liés à aucun logiciel spécifique pour leur conservation comme pour leur visualisation. Nous suivons les recommandations du consortium Cahier et, pour le choix des balises, nous nous inspirons du manuel d’encodage TEI Renaissance et temps moderne des Bibliothèques Virtuelles Humanistes tout en l’adaptant à nos besoins spécifiques. Le site s’appuie quant à lui sur la plateforme MaX développée par le Pôle Document Numérique de l’université de Caen-Normandie et adaptée au projet Amboise par Pascal Joubaud (Telleme, Projet CORNUM) et Guillaume Quéruel (IRIHS, Université de Rouen-Normandie). Le site est hébergé sur les serveurs de la TGIR Huma-Num et les fichiers XML-TEI sont déposés et accessibles à tous sur l'espace Nakala.

[1] Cooper Richard, « Michel d’Amboise, poète maudit ? », La Génération Marot : Poètes français et néo-latins (1515-50), éd. G. Defaux, Paris, Champion, 1997, p. 445-470.
[2] Dorio Pauline , “La plume en l’absence”. Le devenir familier de l’épître en vers dans les recueils imprimés de poésie française (1527-1555), Genève, Droz, 2020.